intervention de Madame Teyssier, déportée à Auschwitz-Birkenau le 19 mai 1944

Mme Teyssier, née le 6 octobre 1923, commence son intervention en soulignant que les jeunes d’aujourd’hui ont la chance de vivre dans un pays démocratique.
De mère polonaise (juive) et de père d’origine marocaine, sa famille vit à Paris; ses parents sont ouvriers, elle-même deviendra soudeuse-câbleuse en téléphonie. Elle insiste sur le fait que le Front Populaire a été un gouvernement de progrès social (congés payés). En 1939, elle fait partie d’un groupe de jeunes qui se retrouvent pour faire du sport (vélo, gymnastique, natation…). Quand Paris est décrétée ville « ouverte » et que les nazis occupent Paris, Madame Teyssier dit que la situation n’est pas encore désespérée puisqu’on a confié le pouvoir à Pétain, vainqueur de Verdun (à l’école, on enseigne aux élèves que Pétain est un héros), mais très vite des doutes se font jour avec la participation au pouvoir de gens d’extrême-droite et quand Pétain serre la main d’Hitler, les doutes se confirment. Les juifs doivent se faire enregistrer à la Préfecture de Police, porter l’étoile jaune; son père veut rester dans la légalité et donc fait la démarche ; ce qui est le moins supportable pour Mme Teyssier c’est de voir le tampon »juif » sur sa carte d’identité. Elle trafiquera sa carte en effaçant cette marque (finira par la frotter sur un sol crasseux pour que la saleté recouvre la mention « juif »). Les lois antisémites multiplient les interdictions ; pour elle, cela signifie ne plus sortir avec ses amis (le cinéma, la patinoire, les parcs sont des lieux qu’elle ne peut plus fréquenter) « On était des pestiférés » s’exclame-t-elle. A cela s’ajoute l’obligation d’être, dans les transports dans une troisième classe séparée des autres.
Elle assiste impuissante à la rafle du Vel d’Hiv. Sa mère est arrêtée et ne reviendra pas. Pendant 3 jours, elle essaie d’approcher le Vel d’Hiv pour tenter de donner de la nourriture, des boissons aux raflés sans succès car la police a bouclé les lieux. Mme Teyssier insiste sur le sort tragique de ces 13000 personnes dont 4000 enfants qui seront gazés à Auschwitz.
Dans le même temps, avec des amis, Mme Teyssier fabrique des fausses cartes d’alimentation pour nourrir les juifs qui se cachent.
Le 8 mai 1944, la Milice débarque chez elle. Elle se rend compte qu’elle ne peut pas s’enfuir (un deuxième homme est en bas de l’immeuble). Elle est emmenée au Commissariat où on lui apprend qu’elle a été dénoncée sur lettre anonyme : on sait qu’elle fabrique de fausses cartes d’alimentations, on sait que son père est passé en zone libre ( il était parti pour travailler). L’homme qui l’interroge finit par l’insulter violemment, lui dire qu’elle n’est pas française. Elle ne se laisse pas faire, réaffirme son identité française et finit par lâcher « Paris sera bientôt libérée », ce qui n’arrange pas son cas. Le lendemain, escortée de deux policiers dans le métro bondé, elle aurait pu fuir (les inspecteurs lui tournaient le dos) mais pour aller où ? A la préfecture, on lui fait comprendre que contre la Milice on ne peut rien faire. Elle reste plusieurs jours à la Préfecture gardée par des religieuses, puis est transférée le16 mai 1944, à Drancy camp de transit où on leur dit que les gens attendent dans ce camp pour aller travailler en Allemagne. Drancy, ce sont de grandes salles avec des paillasses, des ficelles où sont pendus des habits plus ou moins propres. Le 19 mai, on les transfère à la gare de triage de Bobigny où attendent des wagons à bestiaux (à chevaux), on fait monter 80 personnes par wagon avec une seule tinette. Son convoi porte le numéro 74, les wagons sont remplis de paille, il est impossible de s’allonger. Elle a des doutes sur le fait de partir travailler en Allemagne car elle écoutait la BBC.
A la frontière allemande, les cheminots français sont remplacés par des cheminots allemands.
Le convoi est arrêté en rase campagne et les Allemands obligent les déporter à nettoyer les wagons ; pour les déportés, c’était enfin un peu d’air !
Arrivée à Auschwitz le 20 mai sous la neige ; première vision de prisonniers squelettiques qui leur conseillent de prétendre que les enfants ont 16 ans. Les enfants, pleurent, ont soif, ont faim. La scène de séparation des enfants de leurs mères est atroce. C’ est à ce moment là qu »elle a compris qu’elle est arrivée dans un camp d’extermination. Sur la place d’appel, elle voit « un beau brun aux yeux bleus, elle se rassure en se disant « Au moins, il y a de beaux garçons dans ce camp! » Mais il s’agit du docteur Mengelé qui fera des expériences inhumaines sur les déportés utilisés comme cobayes.
Les jeunes tentent de rassurer les mères désespérées en leur disant « c’est pas si terrible que cela, il y a des cheminées, le camp est chauffé ». Elle comprendra très vite qu’il s’agit des cheminées des fours crématoires. Quand les mères comprennent, elle assiste à de terribles crises de nerfs et des évanouissements. Mme Teyssier insiste aussi sur le fait que ce sont les déportés qui remplissent les fours et les déchargent ; les restes de cadavres sont transformés en engrais.
Puis c’est le temps de la tonte (perte de ces chevelures féminines très longues, « on pleure, on rie, on se moque de notre allure »), du rasage (sous les bras, entre les jambes), du pétrole sur la tête et sous les bras pour tuer la vermine. Elle tente de résister mais c’est impossible. La douche est froide. Le coup de grâce est donné avec le tatouage du matricule sur l’avant bras-gauche (A5440), matricule qu’on doit apprendre en allemand.
Aucune nourriture, aucune boisson depuis trois jours. Malgré la peur, le choc, elle s’endort comme une masse. Le lendemain matin, à la place de café, on leur sert de l’orge grillé avec de la saccharine : « c’était bon, c’était chaud » dit-elle.
Lors de l’appel, les gardes ont appelé ce matin des infirmières, des doctoresses et des musiciennes pour qu’elles aillent travailler à l’hôpital du camp ou pour intégrer l’orchestre. Mme Teyssier est affectée au ramassage de pierre.
Le soir venu, le baquet de soupe arrivé dans la baraque, c’est l’espoir enfin de se remplir l’estomac, espoir vite déçu car étant les dernières arrivées, les femmes de son convoi sont refoulées à l’arrière de la file d’attente. Leur tour venu, il n’y a plus que de « la flotte ». On leur distribue toutefois l’équivalent de 3 tranches de pain de mie et une tranche de pâté (faite avec quoi? mystère) qu’on leur conseille de garder pour le lendemain, ce qu’elles font. Malheureusement, le lendemain, plus de pain ni pâté, les aliments ont été volés. Ce qui signifie une nouvelle journée le ventre vide à travailler ! Plus tard, elle comprend que pour avoir des rations supplémentaires, il faut vider les latrines. Le pain sera tout le temps rempli de punaises. Le deuxième jour, elle veut absolument passer la première, elle et ses compagnes se battent « comme des chiffonnières » avec les anciennes déportées pour la soupe qui finira renversée ! Décidemment la faim est une compagne fidèle des déportées ainsi que le manque d’hygiène (un an sans savon). Les déportées sont obligées de se débrouiller ; ainsi, celles qui travaillent dans la baraque surnommée « CANADA » car on trie les objets amenés par les déportés (et le Canada est considéré comme un pays riche), volent ce qu’elles peuvent (papier, bouts de tissu qu’elles utilisent comme papier hygiénique).
Elle évoque la présence de Simone Veil (déportée un mois avant elle), de Madame Ricqlès (les bonbons à la menthe).
Dans les baraques, Mme Teyssier souligne que toutes les nationalités cohabitent, que les Russes ont tenté de s’évader, Auschwitz se situant proche de la frontière russe. Les Russes leur envoyaient d’ailleurs des tracts annonçant la libération imminente du camp.
Le 18 janvier 1945, les nazis évacuent le camp sachant que les Russes arrivent : c’est la « Marche de la Mort » : pendant 3 jours, les déportés marchent en haillons et claquettes de bois entourées de chiffons sous une température polaire (-20°C). ¾ des déportés périssent. Les Allemands finissent par les remettre dans des wagons à bestiaux qui les emmènent jusqu’au camp de Bergen-Belsen, ravagé par le typhus. Mme Teyssier dit : « On n’en pouvait plus, on voyait des personnes boire leur urine ». Elle évoque aussi les fosses communes et surtout le 15 avril 1945, l’arrivée des Anglais qui, avec leurs voitures-radios, annonçaient : « Vous êtes libres , vous êtes libres ». Mme Teyssier dit alors : « On les embrassait, on embrassait leurs pieds, leurs mains. » Eux pleuraient, leur distribuait des bonbons, des chewing-gums, du lait , du pain mais elles n’arrivaient pas à manger ; certaines déportés sont mortes 2 heures après avoir mangé !
Le 7 juin (2 mois après la libération du camp car elle n’est pas transportable), Mme Teyssier est rapatriée en avion jusqu’à l’aéroport du Bourget puis à l’hôpital Salpétrière. Elle retrouve son père à qui les médecins donnent peu d’espoir ; elle pèse 28 kg, les poumons sont gravement atteints. Elle est malade de longues années (la tuberculose), ; avec l’homme qui deviendra son mari, prisonnier de guerre, elle vient s’installer à Vercel en 1955.
Elle fait une carrière dans l’administration.
Elle finit son allocution en insistant sur le respect entre les êtres humains et à la demande des élèves qui ont été très attentifs, montre son avant-bras tatoué.
Nous remercions vivement Mme Teyssier pour son témoignage vibrant, précis.

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